L'agriculture biologique peut-elle nourrir la planète ?

L'agriculture biologique peut-elle nourrir toute la planète ?

Partie 1

Par Brian Halweil

Les seules personnes qui pensent que l’agriculture biologique peut nourrir le
monde sont des hippies à l’imagination délirante, des mères hystériques et des
agriculteurs biologiques arrogants. Vrai ?
En réalité, non. Un bon nombre de dirigeants de l’industrie agricole, de scientifiques
spécialisés dans l’environnement et dans l’agriculture et d’experts agricoles
internationaux pensent qu’une transition à grande échelle vers l’agriculture biologique
permettrait non seulement d’augmenter l’approvisionnement alimentaire
mondial mais serait peut-être même la seule manière d’éradiquer la famine.
Cela peut paraît surprenant. Après tout, les agriculteurs biologiques rejettent
les pesticides, les engrais synthétiques et les autres outils devenus synonymes
d’agriculture à haut-rendement. Au lieu de cela, ils dépendent de l’élevage
pour avoir du fumier et doivent faire pousser des haricots, du trèfle ou d’autres
légumes fixateurs d’azote et fabriquer du compost ou d’autres formes d’engrais
qui ne peuvent être produits dans des usines chimiques mais qui doivent être
cultivés – et qui consomment donc de la terre, de l’eau et d’autres ressources.
(La production d’engrais chimiques nécessite elle des quantités importantes de
pétrole.) Dans la mesure où les agriculteurs biologiques s’interdisent l’utilisation
de pesticides synthétiques, on peut penser que leurs cultures sont dévorées par
des hordes d’insectes, leurs fruits frappés par la pourriture brune des cabosses et
leurs plantes étouffées par les mauvaises herbes. De plus, comme l’agriculture
biologique nécessite une rotation des cultures pour aider à contrôler les parasites,
on ne peut cultiver aussi souvent dans le même champ du blé du maïs ou tout
autre produit.
En conséquence, nous dit-on, dans un monde dépendant de l’agriculture biologique,
on devra cultiver plus de terres qu’aujourd’hui – même si cela signifie
moins de pollution, moins d’animaux de ferme maltraités et moins de résidus
cancérigènes dans nos légumes. « Nous n’allons pas nourrir 6 milliards d’êtres
humains avec des engrais biologiques » a déclaré Norman Borlaug, phytogénéticien
et prix Nobel, lors d’une conférence en 2002. « Si nous essayons de le faire,
nous abattrons la majorité de nos forêts et beaucoup de ces terres ne seront productives
que sur une courte période. » Le chimiste de Cambridge John Emsley
le dit de manière plus abrupte : « La plus grande catastrophe à laquelle la race
humaine pourrait faire face durant ce siècle n’est pas le réchauffement planétaire
mais une conversion planétaire à ‘l’agriculture biologique’ – environ 2 milliards
de personnes en mourraient. »
Ces dernières années, l’agriculture biologique a attiré une plus grande attention,
pas seulement de la part des critiques qui craignent que son adoption à
grande échelle ne conduise des milliards de personnes à la famine, mais aussi de
la part des agriculteurs et des agences de développement qui pensent qu’une telle
transition pourrait être bénéfique pour les populations affamées. Malheureusement,
à ce jour, personne n’avait cherché à établir par une analyse systématique
si une transition généralisée vers l’agriculture biologique se heurterait au manque
de nutriments et à une production insuffisante. Les résultats sont saisissants.

Partie 2

HAUTE TECHNOLOGIE, FAIBLES IMPACTS

De nombreuses études menées de par le monde montrent en réalité que les fermes
biologiques peuvent produire autant, et dans certains cas beaucoup plus que les
fermes conventionnelles. Quand il y a des différences de rendement, elles ont
tendance à être plus importantes dans les pays industrialisés, où les agriculteurs
utilisent de grandes quantités d’engrais synthétiques et de pesticides dans leurs
incessantes tentatives d’augmenter la production. Il est vrai que les agriculteurs
qui se dirigent vers une production biologique ont souvent un rendement moins
élevé les premières années, le temps que le sol et la biodiversité alentour récupèrent
après des années d’assauts chimiques. Plusieurs saisons peuvent être également
nécessaires pour qu’un agriculteur affine cette nouvelle approche.
Le vieil argument selon lequel le rendement de l’agriculture biologique
représente un tiers ou la moitié du rendement de l’agriculture traditionnelle est
basé sur des hypothèses biaisées et un manque d’information. Par exemple, la
statistique souvent citée selon laquelle une transition vers l’agriculture biologique
aux Etats-Unis ne permettrait de produire qu’un quart de la nourriture produite
actuellement est basée sur une étude du Département américain de l’agriculture
montrant que tout le fumier des Etats-unis ne pourrait couvrir qu’un quart des
besoins en engrais du pays – même si l’agriculture biologique ne dépend pas que
du fumier.
Ces arguments sont contredits par des recherches poussées. Par exemple, une
étude récente menée par des scientifiques de l’Institut de recherche pour l’agriculture
biologique en Suisse a montré que les fermes biologiques avaient un rendement
inférieur de seulement 20 % aux fermes conventionnelles sur une période
de 21 ans. En passant en revue plus de 200 études menées aux Etats-Unis et en
Europe, Per Pinstrup Andersen (professeur à Cornell et gagnant du World Food
Prize) et ses collègues sont arrivés à la conclusion que le rendement de l’agriculture
biologique arrive environ à 80 % du rendement de l’agriculture conventionnelle.
Beaucoup d’études montrent une différence encore moins marquée. Analysant
les informations de 154 saisons de croissance sur diverses cultures, arrosées par
la pluie ou irriguées, Bill Liebhardt, scientifique agricole de l’Université de Californie
à Davis, a découvert que la production de maïs biologique atteignait 94 %
de celle de la production conventionnelle, celle de blé biologique 97 % et celle
de soja biologique 94 %. La production de tomate biologique quant à elle égalait
la production conventionnelle.
Plus important encore, dans les pays les plus pauvres où se concentrent les
problèmes de famine, la différence de rendement disparaît complètement. Les
chercheurs de l’Université d’Essex Jules Pretty et Rachel Hine ont étudié plus de
200 projets agricoles dans les pays en voie de développement et ont découvert que
pour l’ensemble de ces projets – ce qui inclut 9 millions de fermes sur près de 30
millions d’hectares – le rendement augmentait en moyenne de 93 %. Une étude
sur sept ans portant sur 1 000 fermiers cultivant 3 200 hectares dans le district de
Maikaal, dans le centre de l’Inde, établit que la production moyenne de coton,
de blé et de piment était jusqu’à 20 % plus élevée dans les fermes biologiques que
dans les fermes conventionnelles de la région. Les agriculteurs et les scientifiques
agricoles attribuent les rendements plus hauts dans cette région sèche aux cultures
de couverture, au compost, au fumier et à d’autres pratiques qui augmentent la matière organique (qui aide à retenir l’eau) dans les sols. Une étude menée au Kenya a démontré que si la production de maïs biologique était moins élevée que la production conventionnelle dans les « zones à fort potentiel » (avec des précipitations au-dessus de la moyenne et une meilleure qualité de sol), dans les régions plus pauvres en ressources, en revanche, la production des agriculteurs biologiques dépassait systématiquement celle des agriculteurs conventionnels. (Dans les deux régions, les agriculteurs biologiques obtiennent des bénéfices nets, un revenu du capital et une rémunération du travail plus élevés). Contrairement aux critiques qui affirment qu’il s’agit d’un retour à l’agriculture de nos grands-parents ou que la majeure partie de l’agriculture africaine est
déjà biologique, que cela ne peut pas fonctionner, l’agriculture biologique est une combinaison sophistiquée de sagesse ancienne et d’innovations écologiques
modernes qui permettent d’aider à maîtriser les effets générateurs de rendement des cycles nutritifs, les insectes bénéfiques et la synergie des cultures. Elle dépend énormément de la technologie – et pas seulement de la technologie issue des usines chimiques.

Partie 3

DES FERMES À HAUT CONTENU ÉNERGÉTIQUE

Nous pourrions donc nous passer des usines chimiques ? Inspiré par une mission de terrain dans la ferme biologique d’un agriculteur de la région qui affirmait avoir récolté la quantité incroyable de 26 tonnes de légumes sur six dixièmes d’hectares dans une période végétative relativement courte, une équipe de scientifiques de l’université du Michigan a essayé d’estimer la quantité de nourriture qui pourrait être récoltée après une transition mondiale vers l’agriculture biologique. L’équipe a passé au peigne fin toutes les études comparant le rendement des fermes biologiques
et celui des fermes conventionnelles. En se basant sur 293 exemples, elle a établi un ensemble de données globales sur le taux de rendement des cultures mondiales les plus importantes dans les pays développés et les pays en voie de développement. Comme prévu, le rendement de l’agriculture biologique s’est révélé inférieur à celui de l’agriculture conventionnelle pour la majorité des catégories de cultures dans les pays riches, alors que les études menées dans les pays en voie de développement ont montré que l’agriculture biologique améliorait le rendement. Les scientifiques ont ensuite lancé deux modèles. Le premier conservateur, dans le sens où il appliquait le taux de rendement des pays développés à la planète entière, autrement dit, selon ce modèle, toutes les fermes, où qu’elles soient, obtiendrait uniquement les rendements les plus faibles des pays développés. Le second appliquait le taux de rendement des pays développés aux pays riches et leur propre taux de rendement aux pays en voie de développement. Nous avons tous été surpris par les résultats, » a expliqué Catherine Badgley, paléoécologiste du Michigan qui a co-dirigé les recherches. Le premier modèle donnait un rendement de 2.641 kilocalories (« calories ») par personne et par jour, juste en dessous de la production mondiale annuelle de 2 786 calories mais sensiblement au-dessus des besoins caloriques moyens d’une personne en bonne santé, compris entre 2 200 et 2 500. Le second modèle donnait un rendement de 4 831 calories par personne par jour, 75 % de plus que la production actuelle – une quantité qui pourrait théoriquement faire vivre une population humaine beaucoup plus grande que celle soutenue actuellement par les terres cultivées.
L’intérêt de l’équipe pour ce sujet a été en partie motivé par l’inquiétude créée
par une transition à grande échelle vers l’agriculture biologique qui nécessiterait
le défrichement de davantage de zones sauvages afin de compenser les rendements
moins élevés – un problème certain pour des scientifiques comme Badgley qui
étudie la biodiversité présente et passée. Le seul problème de cet argument,
affirme-t-elle, est que la majeure partie de la biodiversité mondiale se trouve
à proximité des terres cultivées et que cela ne changera pas de sitôt. « Si nous
essayons simplement de maintenir des îlots de biodiversité dans le monde, nous
en perdrons la plus grande partie » explique-t-elle. « Il est très important de créer
des zones favorables à la biodiversité entre ces îles. Si ces zones sont des champs
gorgés de pesticides, ce sera une catastrophe pour la biodiversité, particulièrement
sous les tropiques. La biodiversité mondiale bénéficierait d’un changement
d’agriculture à grande échelle. »
L’équipe de Badgley s’est efforcée d’émettre des hypothèses aussi conservatrices
que possible : la majorité des études utilisées ne prenait en compte le rendement
que d’une seule récolte, même si de nombreuses fermes biologiques font pousser
plus d’une culture à la fois dans un même champ, produisant plus de nourriture
au total même si le rendement d’une culture, pris séparément, peut être moins
élevé. Les sceptiques peuvent douter des conclusions de l’équipe – en tant qu’écologistes,
ils sont probablement favorables à l’agriculture biologique – mais une
deuxième étude récente sur le potentiel d’une transition mondiale vers l’agriculture
biologique, menée par Niels Halberg, de l’Institut danois de sciences agricoles,
est arrivée à des conclusions très semblables, bien que ses auteurs soient des
économistes, des agronomes et des experts en développement international.
Comme l’équipe du Michigan, le groupe de Halberg a émis une hypothèse à
propos des différences de rendement de l’agriculture biologique pour un certain
nombre de cultures puis appliqué à celles-ci un modèle développé par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires de la Banque Mondiale (IFPRI). Ce modèle est considéré comme l’algorithme le plus abouti pour prévoir la production alimentaire, le revenu des fermes et le nombre de personnes qui souffriront de la faim à travers le monde. Etant donné l’intérêt croissant des consommateurs, des gouvernements et des scientifiques agricoles pour l’agriculture biologique, les chercheurs ont voulu évaluer si une conversion à grande échelle à l’agriculture biologique en Europe et en Amérique du Nord (les deux
régions exportatrices de nourriture les plus importantes dans le monde) ferait
diminuer la production, augmenter les prix alimentaires mondiaux ou empirer les
problèmes de famine dans les pays les plus pauvres dépendant des importations,
particulièrement pour les gens vivant dans les mégapoles en pleine expansion du
tiers-monde. Même si le groupe est arrivé à la conclusion que la production de nourriture déclinerait en Europe et en Amérique du Nord, ce modèle ne semblait
pas avoir d’impact important sur les prix au niveau mondial. Comme il partait
du principe, à l’instar de l’étude menée par les chercheurs du Michigan, que
l’agriculture biologique augmenterait la production en Afrique, en Asie et en
Amérique Latine, dans le scénario le plus optimiste, même l’Afrique Subsaharienne,
actuellement affamée, pouvait exporter un surplus alimentaire.
« L’agriculture biologique moderne non certifiée est une approche potentiellement
durable du développement agricole dans les zones qui ont un faible
rendement à cause d’un accès restreint aux intrants ou d’un mauvais potentiel,
elle implique moins de risques économiques qu’une agriculture basée sur l’achat
d’intrants et peut augmenter le niveau de résilience face aux fluctuations climatiques
», a conclu l’équipe d’Halberg. En d’autres termes, les études de terrain
montrent que l’augmentation de la production due au passage à l’agriculture
biologique est plus importante et consistante justement dans les régions pauvres,
isolées et frappées par la sécheresse, où les problèmes de famine sont les plus
graves. « L’agriculture biologique pourrait grandement contribuer à améliorer la
sécurité alimentaire en Afrique Subsaharienne » affirme Halberg.
Il y a cependant d’autres problèmes à surmonter. « Beaucoup de recherches
s’efforcent de mettre fin aux préjugés » explique Halberg – comme l’idée selon
laquelle l’agriculture biologique serait un luxe que les pays les plus pauvres ne
peuvent pas s’offrir. « Je voudrais détruire cette idée une fois pour toute. Les deux
parties sont simplement trop éloignées l’un de l’autre et ils ignorent les réalités
du système alimentaire mondial. » Même si une transition vers l’agriculture
biologique peut augmenter la production dans les pays africains et asiatiques les
plus affamés, selon ce modèle, presque un milliard d’individus souffrira encore
de la faim dans la mesure où tous les excédents seront simplement exportés vers
les régions qui auront les moyens de les payer.

Partie 4

MAUVAISE QUESTION ?Ces conclusions sur le rendement ne sont pas une surprise pour beaucoup d’agriculteurs biologiques. Ils ont vu de leurs propres yeux et senti de leurs propres mains à quel point ils pouvaient être productifs. Pourtant, certains partisans del’agriculture biologique évitent même de se demander s’ils peuvent nourrir lemonde, simplement parce qu’ils ne pensent pas que ce soit la question la plusutile. Il y a de bonnes raisons de croire qu’une transition vers l’agriculture biologiquene sera pas aussi simple qued’entrer des taux de rendement surune feuille de calcul.Pour commencer, l’agriculturebiologique n’est pas aussi facileque celle qui fait appel aux produitschimiques. Au lieu de choisirun pesticide pour prévenir l’invasiond’un parasite, par exemple,un agriculteur biologique peutenvisager de changer la rotationde ses cultures, de cultiver uneplante qui éloignera les nuisiblesou attirera ses prédateurs – desdécisions qui demandent unecertaine expérience et une planificationà long terme. De plus,l’étude de l’IFPRI laisse entendrequ’une conversion à grande échelleà l’agriculture biologique pourraitnécessiter que la majorité dela production laitière et bovine« soit mieux intégrée à la rotationdes céréales et aux autres culturescommerciales » pour optimiser l’utilisation du fumier. Ré-introduire des vachessur une ou deux exploitations pour fertiliser le sol peut sembler facile, mais lefaire à grande échelle serait un vrai défi – et il est plus rapide de déverser del’ammoniaque sur les sols épuisés.Une fois encore il ne s’agit que d’hypothèses dans la mesure où une transitionmondiale vers l’agriculture biologique pourrait prendre des décennies. Lesagriculteurs sont des gens travailleurs et ingénieux et ils font généralement faceà tous les problèmes qui peuvent se présenter. Si l’on élimine les engrais azotés,de nombreux agriculteurs ferontprobablement paître des vachesdans leurs champs pour compenser.Si l’on supprime les fongicides,ils chercheront des variétésde plantes résistantes aux moisissures.A mesure que de plus enplus d’agriculteurs vont se mettreà cultiver de manière biologique,ils amélioreront leurs techniques.Les centres de recherches agricoles,les universités et les ministèresde l’agriculture vont commencerà investir dans ce secteur – alorsque, en partie parce qu’ils partentdu principe que les agriculteursbiologiques ne joueront jamais unrôle important dans l’approvisionnementalimentaire mondial, ils lanégligent actuellement.Les problèmes liés à l’adoptiondes techniques biologiques ne semblentdonc pas insurmontables.Mais ces problèmes ne méritentpeut-être pas toute notre attention ; même si une conversion massive sur, disons,les deux prochaines décennies, augmente de manière importante la productionalimentaire, il y a peu d’espoir que cela éradique la faim dans le monde. Le systèmealimentaire mondial peut être une créature complexe et imprévisible. Il est difficile d’anticiper comment l’expansion de la Chine en tant qu’importateur majeur desoja destiné à l’élevage pourrait, par exemple, affecter l’approvisionnement alimentaireailleurs. (Cela provoquerait vraisemblablement une augmentation des prixalimentaires.) Ou comment la suppression des subventions agricoles dans les paysriches pourrait affecter les pays pauvres. (Cela augmenterait probablement leursrevenus agricoles et réduirait la faim dans le monde.) Est-ce qu’une consommationde viande moins importante dans le monde permettrait de produire plus denourriture pour ceux qui ont faim ? (Certainement, mais est-ce qu’ils pourraientse payer cette nourriture ?) En d’autres termes, « l’agriculture biologique peut-ellenourrir la planète ? » n’est probablement pas la bonne question dans la mesure oùnourrir la planète dépend plus de la politique et de l’économie que de n’importequelle innovation technique.« L’agriculture biologique peut-elle nourrir la planète est en effet une faussequestion » explique Gene Kahn, agriculteur biologique de longue date qui afondé l’entreprise d’aliments biologiques Cascadian Farms et qui est maintenantvice-président du développement durable pour General Mills. « La vraie questionest : pouvons-nous nourrir la planète ? Point. Pouvons-nous remédier auxdisparités en matière de nutrition ? » Kahn fait remarquer que la faible différenceaujourd’hui entre le rendement de l’agriculture biologique et celui de l’agricultureconventionnelle ne serait pas un problème si les excédents alimentaires étaientredistribués.L’agriculture biologique a cependant d’autres avantages qui sont trop nombreuxpour être tous cités. Des études ont montré, par exemple, que les coûts « externes »de l’agriculture biologique – l’érosion, la pollution chimique de l’eau potable etla mort d’oiseaux et d’autres formes de vie sauvage – représentaient seulement untiers de ceux de l’agriculture conventionnelle. Des enquêtes menées sur tous lescontinents montrent que les fermes biologiques abritent beaucoup plus d’espècesd’oiseaux, de plantes sauvages, d’insectes et d’autres espèces sauvages que lesexploitations conventionnelles. Des tests menés par plusieurs gouvernements ontrévélé que les aliments biologiques ne contenaient qu’une minuscule fraction desrésidus de pesticides que l’on trouve dans les autres aliments et ne contenaient pasd’hormones de croissances, d’antibiotiques et autres additifs présents dans de nombreux aliments conventionnels. Il existe même des preuves que les alimentsbiologiques ont des niveaux considérablement plus élevés d’anti-oxydants bénéfiquespour la santé.Il y a également des avantages sociaux. Parce qu’elle ne dépend pas d’intrantscoûteux, l’agriculture biologique pourrait aider à faire pencher la balance en faveurdes petits fermiers dans les pays frappés par la famine. Un rapport de 2002 del’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture notait que« les systèmes biologiques peuvent permettre de doubler ou de tripler la productivitédes systèmes traditionnels » dans les pays en voie de développement, maisindiquait que la comparaison à propos du rendement donnait une « image limitée,étroite et souvent trompeuse » dans la mesure où les fermiers de ces pays adoptentsouvent les techniques d’agriculture biologique pour économiser de l’eau et del’argent et réduire la variabilité du rendement dans des conditions extrêmes. Uneétude plus récente du Fonds international de développement agricole a trouvéqu’à cause de son besoin en main-d’oeuvre plus élevé, « l’agriculture biologiquepouvait se révéler particulièrement efficace pour redistribuer les ressources dansles régions où la main-d’oeuvre est sous-employée. Cela peut aider à contribuerà la stabilité rurale. »LA TERRE DU MILIEU

On obtiendrait ces avantages même sans une conversion complète à une sorte
d’utopie biologique. En fait, certains experts pensent qu’il serait plus prometteur
et raisonnable d’adopter une position intermédiaire, où de plus en plus d’agriculteurs
choisiraient les principes de l’agriculture biologique même s’ils n’en
suivraient religieusement pas l’approche. Dans ce scénario, les fermiers pauvres
et l’environnement y gagneraient. « L’agriculture biologique ne fera pas l’affaire »
affirme Roland Bunch, un agent de vulgarisation agricole qui a travaillé pendant
des dizaines d’années en Afrique et en Amérique et travaille maintenant avec
COSECHA (Association of Consultants for a Sustainable, Ecological and People-
Centered Agriculture ; L’association des consultants pour une agriculture soutenable,
écologique et centrées sur les populations) au Honduras. Bunch sait par
expérience que l’agriculture biologique peut permettre aux fermiers pauvres de
produire davantage que l’agriculture conventionnelle. Mais il sait également que
ces fermiers ne peuvent pas obtenir les prix forts payés ailleurs pour les produits
biologiques et qu’ils sont souvent incapables, et peu désireux, d’assumer certains
des coûts et des risques liés à un passage complet à l’agriculture biologique.
Bunch préconise plutôt une « voie du milieu » une éco-agriculture ou agriculture
à faible niveau d’intrants qui utilise de nombreux principes de l’agriculture
biologique et ne dépend des produits chimiques que pour une petite fraction.
« Ces systèmes peuvent permettre aux petits cultivateurs de produire immédiatement
deux ou trois fois ce qu’ils produisent actuellement » explique Bunch. « De
plus, c’est intéressant pour les petits producteurs car le prix par unité produite
est moins élevé. » En plus des gains immédiats au niveau de la production alimentaire,
Bunch laisse entendre que les avantages environnementaux de cette
voie du milieu seraient beaucoup plus grands qu’un passage total à l’agriculture
biologique car « cinq à dix fois plus de petits cultivateurs l’adopteraient par unité de sol et par investissement consacré à la formation. Ils n’enlèvent pas la
nourriture de la bouche de leurs enfants. Si cinq cultivateurs réduisent de moitié
leur utilisation de produits chimiques, les effets bénéfiques sur l’environnement
seront deux fois et demi plus grands que si un cultivateur passe complètement à
l’agriculture biologique. »
Les agriculteurs qui se concentrent sur l’amélioration des sols, l’augmentation
de la biodiversité ou qui incluent du bétail dans la rotation de leurs cultures n’excluent
pas l’utilisation future
de culture biotechnologiques,
d’azote de synthèse ou
d’autres innovations pouvant
augmenter la production, en
particulier dans les régions où
les sols sont épuisés. « Au final,
si nous faisons bien les choses,
nous pourrons augmenter de
manière importante la part
du biologique dans les systèmes
conventionnels » explique
Don Lotter, consultant agricole.
Comme Bunch, Lotter
fait remarquer qu’en termes
d’avantages économiques,
environnementaux et de rendements,
une telle approche
« intégrée » dépasse souvent
à la fois les approches strictement
biologiques et celles utilisant
les produits chimiques
de manière intensive. Pourtant,
Lotter n’est pas certain de l’occurrence prochaine d’une telle évolution dans
la mesure où l’agriculture mondiale n’est pas vraiment orientée vers le biologique
– ce qui pourrait être le vrai problème pour les populations pauvres et affamées.
« Il y a des régions immenses en Afrique Subsaharienne et en Amérique du Sud
où la révolution verte n’a eu aucun impact et n’en aura probablement pas sur
la prochaine génération de cultivateurs » explique Niels Halberg, le scientifique
Danois qui a dirigé l’étude du IFPRI. « Il semble que les mesures agro-écologiques
dans certaines de ces régions ont un impact bénéfique sur le rendement et
la sécurité alimentaire. Alors pourquoi ne pas les essayer sérieusement ? »